T : Mike Marchal / France – Paris

Doctorant en sociologie (EHESS-IRIS) 

Quelques anecdotes sur mon parcours dans le monde de l’accueil de la petite enfance

J’ai fait mes premiers pas dans l’univers de la crèche dans les années 90, un peu par hasard comme un certains nombres d’hommes dans ces métiers. Ce n’était pas la voie directe, personne ne te dit « tu es un garçon, tu pourrais t’occuper des enfants ! ». Après plusieurs tentatives d’orientation professionnelle sans grande conviction je ne savais vraiment pas ce que je voulais faire de ma vie. Puis le service militaire étant encore obligatoire en France à l’époque, j’ai dû faire un choix, celui de « ne pas porter les armes » et d’effectuer un service civil. Cela m’a amené à consacrer un an et demi de mon temps à une association qui s’est avérée être une crèche parentale. Cette expérience a été déterminante, j’y ai découvert un autre rapport au temps et à la vie, celui des enfants à la fois plus lent que celui des adultes, plus intense par la présence et l’attention soutenue nécessaires aux enfants, et un temps plus matérialisable par les multiples changements rapides qui s’opèrent lors des premières années de vie. Trente ans plus tard je suis toujours passionné par cet univers, même si je n’exerce plus directement le métier d’éducateur de jeunes enfants mais que je passe du temps à la crèche en tant que chercheur sur la question des socialisations masculines et de l’engagement des pères dans ces institutions.

Au long de ces années, j’ai bien compris que je n’avais pas pris le chemin le plus évident pour un homme. J’aimais mon métier, je me passionnais pour le développement des jeunes enfants et la manière de les accompagner et les aider à grandir au quotidien mais je voyais bien que persistait un décalage entre ma motivation, mon intégration dans ces espaces et les perceptions que se faisaient les autres de ma présence.

Dès l’entrée en formation, à l’école d’éducateur de jeunes enfants j’ai dû m’expliquer de façon peut être plus poussée que mes camarades femmes sur mes motivations, en lien avec mon parcours de vie, ma vie personnelle. Je ne l’ai pas vraiment perçu à ce moment-là, mais des années plus tard j’ai pu en parler avec le directeur de l’école qui m’a confirmé que les épreuves de sélection peuvent faire obstacle aux hommes. Il s’est battu contre des jurys qui ne souhaitaient clairement pas laisser entrer des hommes pour « se prémunir » de tout risque pédophile, ou qui considéraient des candidats supposés homosexuels comme des personnes immatures ou soi-disant « restés dans l’infantile ». Ce témoignage édifiant m’a marqué par la confirmation de la barrière de préjugés de certains jurys et par l’homophobie qui les animait et pouvait se dire « sans crainte » à cette époque-là. Malgré cela, j’ai réussi à franchir cette barrière et j’ai adoré mes années de formation !

Avec la distance et l’analyse, je comprends mieux comment ces pratiques discriminatoires sont en lien avec les normes de genre et en l’occurrence la « masculinité hégémonique » concept théorisé par la sociologue australienne Raewyn Connell. Dans les années 1990, cette masculinité hégémonique c’est à dire celle qui est « dominante » et est attendue de la majorité des hommes reste arrimée sur l’idée que pour c’est par une stricte distance avec le féminin et l’infantile que la masculinité se construit. Connell a mis à jour une dynamique de différenciation et de hiérarchisation des différentes formes de masculinité qui est au cœur de la construction du masculin. Les hommes perçus comme homosexuels ou trop féminins sont infériorisés dans des « masculinités subordonnées », ce qui se concrétise au quotidien par une puissante homophobie de la part de nombreux hommes (qui tourne souvent à l’obsession) mais aussi de femmes qui ont incorporé cette norme comme le donne à voir ce récit.

L’épreuve du recrutement est aussi un moment charnière. Les hommes qui ont passé le premier obstacle de la formation y sont souvent bienvenus. Les établissements et un certain nombre d’équipe se réjouissent de travailler en mixité et vous accueillent bras ouverts. Mais parfois les mots traduisent un impensé. Ainsi je me souviens d’un entretien lors de me premières recherches de poste. Nous échangions avec la responsable de la crèche, elle me parlait du projet et me disait « Ici nous sommes toutes éducatrices ! » elle me parlait du choix d’embaucher des professionnelles avec ce diplôme mais je n’ai pas réussi à me sentir inclus dans son propos. Je me demandais à qui s’adressait cette phrase et si elle voulait vraiment me recruter ? J’ai décliné ma candidature.

Comme professionnel sur le terrain, j’étais toujours attentif à bien m’intégrer au sein des équipes, ce qui n’est vraiment pas simple comme seul homme au sein d’une équipe de femmes. Ainsi après coup je remarque que j’ai très vite bifurqué dans le choix de la crèche familiale où j’occupais une place particulière au sein d’une petite équipe avec une collègue éducatrice et en soutien des assistantes maternelles ou avec une équipe plus mixte avec d’autres professionnels du travail social  comme des éducateurs spécialisés.

Plus tard exerçant comme responsable d’établissement, j’ai été marqué par les propos d’une mère. Soucieux de développer la mixité professionnelle, j’avais pu recruter un éducateur de jeunes enfants. Ainsi sur sept professionnel.le.s, il y avait deux hommes (dont moi) dans cette crèche. Un jour une mère, dont la petite fille était en adaptation, parlait avec moi et me confiait sa crainte que l’éducateur de jeunes enfants ne s’occupe de sa fille. Elle faisait bien référence au fait qu’il s’agisse d’un homme. J’étais surpris sur le moment, et ne sachant quoi répondre, je lui fais remarquer que je suis aussi un homme dans cette crèche. Elle me dit « ah oui mais vous ce n’est pas pareil, vous êtes le directeur ! ». Cette mère par cette remarque m’a aidé à mieux comprendre le malaise social que peut provoquer un homme dans une place trop proche des enfants. Quant à moi, elle m’a remis à ma place de directeur, une fonction « normalisée » c’est à dire finalement « attendue » pour un homme, même en crèche. J’ai pensé plus tard que le fait d’occuper cette place de responsable m’avait probablement aussi enlevé un poids de préjugés sur les épaules.

Ces quelques anecdotes issues de mon expérience traduisent que même si les hommes sont aujourd’hui plus explicitement bienvenus dans ces mondes professionnels et que certains y trouvent leur place (toutefois sans plan d’actions la faible proportion d’homme stagne la plupart du temps voire décroit parfois), il reste beaucoup du chemin à faire pour déjouer les préjugés et les stéréotypes de genre. La division sexuée du travail est toujours opérante dans nos sociétés, elle assigne les femmes à ces métiers tout en tenant à distance les hommes qui eux-mêmes sont très rares à vouloir y aller, il faut bien le dire.

Pour changer cette situation, il faut une véritable volonté politique qui ne dise pas juste « ces métiers n’ont pas de sexe ! » mais qui reconnaissent et rémunèrent beaucoup mieux les métiers du care avant tout pour toutes les femmes qui l’exercent depuis longtemps et chaque jour en donnant beaucoup aux enfants et à leurs parents. Peut-être ainsi plus de garçons et d’hommes pourraient se sentir concernés et prendre leur part du travail à la crèche comme à la maison où aujourd’hui les pères sont incités à s’occuper activement de leurs jeunes enfants.

Mike Marchal