Belgique

RIEPP asbl – Réseau des Initiatives Enfants-Parents-Professionnels
Louvain-la-Neuve – Belgique

Des petits et des hommes

L’enfance, et surtout la petite enfance, ont longtemps été vus comme des mondes réservés aux femmes, qui auraient des dispositions naturelles pour s’occuper des petits. Pourtant, les hommes ont aussi un rôle important à jouer dans l’éducation des enfants. Certaines choses semblent changer avec l’apparition des « nouveaux pères » qui s’impliquent dans l’éducation de leurs enfants, n’hésitant pas à les câliner, les pouponner, les materner. Pourtant, des différences importantes subsistent. Une étude de l’Institut pour l’égalité des chances entre les femmes et les hommes (2009) a par exemple montré que les mères passent plus de temps aux soins des enfants et aux tâches ménagères liées à ces soins, tandis que « le temps passé par les hommes aux soins et à l’éducation des enfants consiste très largement à réaliser des activités liées à l’éducation (raconter des histoires, jouer, faire du vélo, …) » (Glorieux et Vantienoven, 2009, p.93).

Le secteur professionnel de l’éducation et l’accueil des enfants reste largement féminisé. Or, le secteur, les enfants et les familles auraient beaucoup à gagner de la présence de travailleurs masculins. Actuellement, en Fédération Wallonie-Bruxelles, il n’y a pas de chiffres pour évaluer le nombre d’hommes qui travaillent avec les enfants de moins de six ans, mais ils ne sont pas nombreux. Chez nos voisins flamands, 3,4% des accueillants d’enfants de 0 à 3 ans sont des hommes, 4,9% en périscolaire et 1% dans l’enseignement maternel. En Suède, en 2010, 6200 hommes, soit 8,3%, font un travail d’éducation ou d’accueil1.

Des enjeux importants

Un premier enjeu concerne le secteur et sa valorisation. On ne peut que le déplorer, mais le fait est que lorsqu’une profession est fortement féminisée, elle est dévalorisée. C’est particulièrement vrai dans le secteur de l’éducation et de l’accueil du (jeune) enfant (EA(J)E) où, malgré la constante professionnalisation, des représentations liées aux stéréotypes de genre persistent. Ainsi, pour beaucoup de personnes, il apparaît comme « naturel » que les femmes s’occupent des enfants, surtout s’ils sont petits, car elles auraient des dispositions naturelles, un instinct maternel qui les prédisposeraient à cela. Si s’occuper des enfants est « naturel » pour les femmes, alors cela ne nécessite pas une vraie formation. La nature serait suffisante, pas besoin de se professionnaliser. Or rien n’est moins faux, et le soi-disant « instinct maternel » n’existe pas mais est une construction sociale.
La présence de travailleurs hommes dans les services d’EA(J)E permettrait de dépasser radicalement cette vision simpliste de l’éducation et de l’accueil des enfants : pour s’occuper des enfants des autres, il faut développer des compétences, se former, gérer des situations complexes, … S’occuper des enfants des autres est un vrai métier (et non une occupation de femmes) qui mérite un statut adéquat, en rapport avec l’importance de la tâche, et un salaire correspondant.

Un deuxième enjeu concerne les enfants : pour ceux-ci, il est important d’avoir autour d’eux des

1 Source : Enfants d’Europe n°23, octobre 2012.

femmes et des hommes à observer, avec lesquels échanger ; des femmes et des hommes qui peuvent devenir des modèles d’identification, qui vont les aider à se construire une identité harmonieuse. La présence des hommes dans les services d’EAJE est importante pour les petits garçons, mais aussi pour les petites filles2.

Un troisième enjeu est la lutte contre les stéréotypes. Les jeunes enfants, très tôt confrontés à un monde composé exclusivement de femmes, vont développer les stéréotypes contre lesquels nous voulons lutter : pour s’occuper des (jeunes) enfants, il faut être une femme. Introduire des hommes dans les équipes permet de contrer ce stéréotype, auprès des enfants mais aussi auprès des parents. La présence d’hommes dans les équipes qui s’occupent des petits permet d’ouvrir le dialogue sur les questions liées au genre et à la professionnalisation.

Un quatrième enjeu est la valorisation de la diversité. Nous vivons dans un monde où la diversité est devenu la règle. Il est important que les microcosmes que sont les crèches, les écoles, les plaines de vacances reflètent cette diversité. Mais comment pourrait-on parler de diversité si les hommes en sont exclus ?

Un cinquième enjeu est la place et l’implication des pères dans les services d’EA(J)E. Ce n’est pas toujours facile pour les pères de trouver leur place dans un monde composé exclusivement de femmes. « Il arrive que les pères se sentent un peu perdus et mal à l’aise dans les structures d’accueil de l’enfance car leur statut d’hommes dans un univers très féminin les fait apparaître comme une espèce rare » (ASSAE, 2009, p.4). Quand il y a, ne fut-ce qu’un travailleur masculin, cela facilite l’implication des papas, qui ne se sentent plus tomber comme un cheveu dans la soupe.

Dernier enjeu, et non des moindres, est l’égalité entre les femmes et les hommes dans le domaine de l’éducation et des soins aux enfants et donc, le renforcement du rôle des hommes dans la prise en charge de leurs enfants. Par exemple, le plus souvent, c’est la mère qui s’absentera de son travail pour aller rechercher son enfant malade à la crèche ou à l’école, pour trouver une solution de garde, voire le garder elle-même. Ce sont les mères qui vont majoritairement aux réunions des parents dans les écoles, qui échangent au quotidien avec les professionnels. Ce sont les mères qui aménagent, et souvent réduisent leur temps de travail, pour répondre aux impératifs de la vie familiale. La présence des travailleurs masculins dans les services d’EA(J)E permet de montrer que la prise en charge des enfants n’est pas exclusivement une affaire de femmes. « Les pères se rendent comptent que les hommes s’occupent de leurs enfants avec compétence et sont ainsi rendus attentifs au fait qu’eux-mêmes peuvent avoir un rôle plus actif avec leurs enfants. Ils sont donc indirectement encouragés à assumer une responsabilité accrue dans leur famille voire même de la revendiquer dans leur vie professionnelle. Les mères, de leur côté, se voient ainsi déchargées de la mission que leur a confié la société, à savoir qu’elles sont les seules à assumer la responsabilité de la prise en charge des enfants. Grâce à l’exemple des professionnels de l’enfance, elles peuvent faire davantage confiance à leurs partenaires et leur laisser l’espace d’exercer plus activement leur rôle de père » (ASSAE, 2009, p.4).

Les difficultés et les écueils dont il faut tenir compte

La suspicion à l’égard des hommes. La Belgique a été profondément traumatisée par les différentes affaires de pédophilie. Cette réalité, pourtant extrêmement rare, reste présente dans un coin de la tête d’un grand nombre d’entre nous. Les hommes qui travaillent avec des enfants sont souvent victimes de suspicions sur leurs motivations à travailler avec des enfants :

2 Cet enjeu est important mais pourrait être utilisé d’une manière dangereuse si on le considère de façon figée. Cette discussion fera l’objet d’une prochaine analyse.

un homme qui aime travailler avec des petits, c’est louche ! « Dans mon travail, je dois parfois changer des petits de maternelle quand ils ont eu un « accident ». Mais certains parents voient ça d’un mauvais œil » (un animateur extrascolaire dans une école). Pourtant, comme le dit Jan Peeters (2012, p.17), « il n’est pas admissible qu’un même comportement soit ressenti comme aimable et chaleureux s’il émane d’une femme mais douteux s’il provient d’un homme ».

Le renforcement des stéréotypes. Il ne suffit pas de mettre un homme dans une équipe de femmes pour lutter contre les stéréotypes de genres ! Si les hommes de l’équipe font du sport avec les enfants et s’occupent de la maintenance technique tandis que les femmes prennent en charge les soins, câlinent et organisent des ateliers cuisine, les stéréotypes seront renforcés.
« Souvent, les équipes mixtes tendent à effectuer une distribution stéréotypée des tâches et des activités » (Rohrmann, 2012, p.10).

La persistance des stéréotypes. Peu de garçons entreprennent des études de puériculteurs, d’auxiliaires de l’enfance ou d’instituteurs maternels. Les études de puériculture qui sont de niveau secondaire dans la filière professionnelle, sont souvent présentées comme une option pour les jeunes filles qui auraient des capacités « naturelles », car elles sont des filles, donc ayant un « instinct maternel », ce qui est faux, comme nous l’avons vu plus haut. « La persistance de cette conception du métier explique qu’il y a une large majorité de filles dans l’option de puériculture. » (Lallemand, 2011, p.24)
Les hommes qui travaillent avec les tout-petits ont souvent un parcours de formation atypique. En voici un témoignage : « J’ai commencé par faire la sociologie, ensuite j’ai voulu me réorienter et travailler avec les tout-petits. J’ai donc suivi la formation d’accueillante d’enfants à domicile.J’ai ensuite été engagé à temps plein en crèche privé, mais je voulais également pouvoir travailler en crèche publique. Mais, l’ONE ne permet pas aux accueillantes d’enfants de travailler dans les crèches publiques. J’ai donc entamé un master en cours du soir en sciences de l’éducation, ce qui m’a enfin donné accès au métier que je voulais vraiment
faire : accueillir des jeunes enfants dans une crèche publique » (Matthieu puériculteur dans une crèche communale d’Anderlecht).

Des pistes pour encourager la mixité dans les équipes

Attirer les hommes dans les professions de la petite enfance
Certains pays ont mené des actions pour attirer les hommes dans les métiers de l’éducation et l’accueil des (jeunes) enfants. Par exemple, en Norvège (Askland, 2012), différents plans d’actions ont été menés pour recruter et conserver des hommes dans les structures d’éducation et d’accueil d’enfants de un à six ans. Ces actions consistaient entre autres en des publicités, films, préséance juridique pour les candidats masculins aux études ou au travail (à qualification égale avec les candidates) mais aussi en recherches menées par des universités et autres institutions. L’expérience norvégienne a notamment montré que les hommes sont plus intéressés à travailler dans des structures d’accueil fondés sur la pédagogie en plein air ou présentant un contenu pédagogique prononcé.

En Fédération Wallonie-Bruxelles, ce genre d’initiatives pourrait être prises, mais parallèlement, il faudrait commencer un gros travail de fond pour bannir le discours qui réduit le métier à des aptitudes « naturelles » que détiendraient les femmes et présente les études de puériculture comme des « filières pour les jeunes filles ».

Lutter contre la suspicion
Il est essentiel de ne pas éviter le débat et de permettre l’expression de craintes, tant venant des parents que des collègues. En équipe, il est possible de réfléchir ensemble aux gestes et attitudes acceptables, tant de la part des hommes que des femmes, et ceux qui ne le sont pas.

« Il est indispensable que chacun et chacune (…) adopte une conduite transparente sur le lieu de travail, qui favorise et encourage les regards réciproques. C’est ainsi seulement qu’il est possible d’éviter les abus sexuels et, le cas échéant, de mettre un terme à la méfiance éprouvée par les parents ou des membres de l’équipe » (ASSAE, 2009, p.23).

Il reste donc du chemin avant d’avoir des équipes réellement mixtes pour accueillir et éduquer les enfants, surtout les plus jeunes. Mais l’enjeu est important et en vaut la peine.

Joëlle Mottint, avril 2013